Je suis Duala et je n’aime pas Douala.

Article : Je suis Duala et je n’aime pas  Douala.
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2 février 2014

Je suis Duala et je n’aime pas Douala.

Je m’appelle DANIA EBONGUE, j’appartiens à deux familles royales : Le canton BELL et le canton BELE BELE. Je suis un sang pur sang Duala. Mes grands parents, mes arrières grands-parents et mes aïeux ont flirté avec les colons et les explorateurs de cette ville. Ma famille de Bonabéri comme ma famille de Bali sont au cœur de l’histoire administrative de la ville de Douala. C’est donc un vrai prince Duala qui vous parle, et pourtant, je n’aime pas la ville de Douala, malgré l’amour que René Jackson Nkowa porte à cette ville.

Douala

Je suis né à l’hôpital Laquintinie de Douala. En 1978, c’était l’hôpital de référence de la capitale économique du pays. Aujourd’hui, l’hôpital Laquintinie est réputé pour son trafic des organes et la manipulation des corps à la morgue.

Douala pue, Douala sue, Douala se pollue.

Qu’ont-ils fait à ma ville ? Qu’ont-ils fait de ma ville ?

Douala sent mauvais. Elle sent l’odeur des usines, des eaux souillées, des rigoles bouchées. Elle sent l’odeur de l’insécurité, des meurtres dans les quartiers. Elle sent l’odeur des villes mortes de 1990 et des émeutes de la faim de 2008. Et From Douala with love nous rappelle qu’à Douala, l’eau de caniveau est à boire.

Qu’ont-ils fait à mon pont sur le Wouri ? Aujourd’hui, ce pont n’est plus que l’ombre de lui-même. Il a fallu que le grand Tara de la République vienne lui-même poser la première pierre du deuxième pont, car le premier est bouché, impraticable, sclérosé.

Qu’ont-ils fait de mon fleuve ? Ils l’ont démythifié, démystifié. Ils ont banalisé le rite de mes ancêtres (Le Ngondo). Ils ont transformé mon fleuve en plate-forme pour cimenteries. Ils ont souillé mon fleuve, et tous les poissons sont morts ou partis. La rivière des crevettes n’est plus (Rio dos Camaroes en Portugais, fleuve qui baptisa le Cameroun). Cette  Rio dos Camaroes n’a plus des crevettes, mais un ensablement critique.

Qu’ont-ils fait du Port de Douala ?  Ce port où ma grand-mère a travaillé. C’était la véritable porte d’entrée du Cameroun et de l’Afrique Centrale. Aujourd’hui, le port de Douala brille par ses trafics les plus souterrains, et des échanges les plus occultes.

Qu’ont-ils fait de l’Aéroport de Douala ?  Demandez à ma sœur Tjatbass ! Elle nous révèle que L’aéroport de Douala, c’est vraiment une grande connerie. Douala n’est plus un aéroport digne de l’adjectif international. C’est un grand marché à la sauce désordonnée. C’est surtout un haut lieu de stress pour les arrivants et les partants. Mais un vrai calvaire, pardi !

 Douala 2

Qu’ont-ils fait de mes lieux de sorties ? Avant Douala avait des firmes comme Monoprix, Aux Bonnes Courses, etc. Douala avait des salles de cinéma : Le Fohato, Le Wouri, Le Concorde, Le Paradis, etc. Aujourd’hui Douala est prise en otage par des discothèques d’un autre genre, avec une clientèle particulièrement bizarre.

Qu’ont-ils fait des hôtels de ma ville ? Oui, il a fallu que France 2 et l’émission Envoyé Spécial viennent ici pour que je sache que la pédophilie et le trafic des jeunes filles existent dans ma ville. Que dire des crimes dans les hôtels ?

Qu’ont-ils fait de mes équipes de football ? Oryx premier champion d’Afrique des clubs ? La Dynamo du Canton Bassa ? Léopards du canton Deido ? Stade de Bonaberi ? Caïman du canton Akwa ? Où sont passés ces clubs qui ont pourtant fourni des Roger Milla, Joseph Antoine Bell, Mbappé Léppé, etc.

Qu’ont-ils fait de ma jeunesse ? Elle se déscolarise, se drogue, se pervertit, s’immigre, se radicalise, se marginalise. Elle se dégrade ma jeunesse. Heureusement au moins, il y’a une autre jeunesse qui elle, est présente dans la communauté Twitter du Cameroun. Oui, ma chère Danielle IBOHN, « ba pè nà tilà »( moi aussi j’écris comme toi).

Qu’ont-ils fait des mœurs de ma ville ? Elle a foutu le camp, la politesse. Bonjour, Bonsoir, Merci, Pardon, sont des mots inexistants. Douala est agressive, violente, insultante, désagréable.

Qu’ont-ils fait de la spiritualité de ma ville ? Ils l’ont spoliée au profit de pratiques magico-mystiques, de pactes, de rites de magie noire et d’incantations quotidiennes dans les quartiers de Douala. Ma ville sent l’ambiance de sorcellerie. Les églises remplacent leurs chapelets par des amulettes. Les pasteurs sont devenus des féticheurs, et les chapelles sont devenues des autels de pratiques vaudou. Ils ont réduit le pouvoir de mes Chefs traditionnels. Ceux-ci se sont érigés en Chef de clans secrets. Le pouvoir ancestral est devenu pouvoir de musée. Douala est à quelque chose près, en attente de cet Hercule qui nettoiera les écuries d’Augias.

En attendant, je vis à Yaoundé, et ici, tout n’est peut-être pas beau, mais j’aime cette ville et ses 7 collines protectrices. J’aime cette capitale et son air pur. J’aime cette ville administrative et son protocole. J’aime le siège des institutions et son ambiance frémissante de l’exercice du pouvoir central. Je suis Prince Duala, mais mes amis sont des patriarches Bétis (Tribu de la Région de Yaoundé). Je suis supposé être enfant des eaux (du Wouri), et pourtant les chefs de Yaoundé me livrent les secrets des montagnes et des forêts. Yaoundé, ma ville d’adoption me rappelle cette phrase célèbre du président Biya : « Tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit ».

 

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Commentaires

Cyprien
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Très belle plume.
Espérons que Douala va redevenir le Douala d'avant.

Baba Mahamat
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Très bel article, je vis a Douala et il trace une réalité indéniable d'une société qui s'est metemorphosee au fur et a mesure.

carole de souter
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Salut Dania, je suis ravie de découvrir ton bel article.
Quatre années ont passés depuis mais j'espère que tu pourra voir ce petit mot quand même.
J'ai vécu à Douala de 90 à 94 et ta description des lieux me touche beaucoup dans le sens ou enfin je vois quelqu'un qui n'est pas comme ces gens qui défigurent nos villes et qui ose en parler.
Merci ami et peut-être aurais-je le plaisir de communiquer avec toi.
Dominique

DANIA EBONGUE
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Merci Dominique. Je suis honoré.

Emma Aboula
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Bel article, comment remettre ce Douala à celui de ton enfance, la question demeure