Marches contre Boko Haram, ce bizness juteux !

Article : Marches contre Boko Haram, ce bizness juteux !
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21 février 2015

Marches contre Boko Haram, ce bizness juteux !

Grande Marche

Ça y est ! Il a fallu qu’on fasse le reproche aux Africains de s’être complètement alignés sur le concept « Je suis Charlie » (alors que périssaient des victimes de la nébuleuse sectaire Boko Haram), pour que les uns et les autres se précipitent dans les rues afin de « soutenir » les soldats qui sont au front. A priori, il n’y a rien de méchant à marcher pour encourager les soldats, car ces vibrations vont certainement les galvaniser sur le terrain. Mais comme d’habitude, la mentalité camerounaise va doubler d’ingéniosité pour se servir de Boko Haram afin d’en faire un produit marketing juteux. Oui, c’est la foire aux bonnes affaires en ce moment au Cameroun. Chacun veut tirer profit de Boko Haram. Chacun y va de son soutien, de sa marche, de sa motion. Le naïf qui observe cette scénographie de loin se dit sans doute : « Ah, quel pays solidaire ! » Sans doute ! Mais, la réalité est plus profonde que cela.

Creusez un peu ! Depuis quand date cette déferlante de soutiens aux forces de défense au Cameroun ? Pas depuis longtemps en tout cas. C’est depuis que c’est devenu un phénomène médiatique au Cameroun. Rien n’est plus fait sans évoquer Boko Haram. Les jeunes de telle région, les jeunes de telle association, les membres de telle ONG qui collectent de l’argent pour dit-on en faveur des troupes, tels artistes qui chantent des chansons, d’autres qui produisent des clips thématiques, sans parler de certains ministres qui prennent des initiatives de positionnement politique sous le couvert de soutien aux forces de défense. Y’en a pas beaucoup que j’ai vu aller encourager les troupes sur place. C’est facile de brailler dans un bureau climatisé de Yaoundé pendant que les soldats reçoivent du plomb dans leur corps.

Cette semaine par exemple, un illustre inconnu jusqu’à lors au Cameroun est subitement devenu l’invité du 13 heures il y a deux jours, pour nous expliquer pourquoi son association a organisé un séminaire sur l’enrôlement des jeunes dans les bandes armées. C’est bien ! Au moins de sa bouche, on aura appris que « les enfants de la rue ont diminué à Yaoundé ». Allez-y comprendre que Boko Haram a donc recruté les enfants SDF (sans domicile fixe) pour les armer. Peut-être ! Mais, fallait-il attendre plusieurs mois après le début des attaques des frontières camerounaises pour établir ce constat ? Et si notre invité du 13 heures possède vraiment des informations et statistiques sûres, comment a-t-il remonté la filière de recrutement de Boko Haram auprès des jeunes de la rue à Yaoundé ? Passons !

En fait, Boko Haram est la nouvelle religion au Cameroun. Grâce à ce concept-religion, des vocations patriotiques naissent chaque jour, surtout dans les médias. Très présent le ministre de la Communication brandit tous les deux jours à brandir les chiffres des attaques (surtout en faveur des soldats camerounais). On notera aussi les deux derniers discours présidentiels orientés vers les conséquences de cette guerre. A côté du récent sommet de la CEAC (Communauté des Etats d’Afrique centrale) tenu à Yaoundé, Boko Haram a une saveur de récupération vers tous les ambitieux de la République. Il y a ceux qui par ces différentes marches disent soutenir les soldats, et partant le président de la République, leur chef. Il y a ceux qui sentent que derrière ces mouvements, d’éventuelles gratifications administratives et politiques sont à prévoir. Il y a ceux qui s’affichent pour être zyeutés par le pouvoir (on ne sait jamais n’est-ce pas ?) En fait au Cameroun, la sincérité est devenue une denrée rare. Il ne se passe pas un jour sans qu’un « illuminé » ne crée sa marche ou sa motion de soutien. Ce behaviourisme sent le parfum de l’opportunisme à plein nez. J’aurais aimé les voir au début, lorsque les premières têtes furent tranchées à Kolofata. J’aurais aimé les voir, il y a quelques mois, lors des premiers enlèvements, ou lors des premières attaques. J’aurais aimé les voir avant le slogan « Je suis Charlie » pour les voir créer un slogan original. J’aurais aimé voir plus de journalistes sur le terrain, prenant les risques dans les camps de réfugiés, traversant le Nord-Cameroun peur au ventre, pour donner l’information aux Camerounais. Oui, j’aurais aimé voir ces journalistes qui disent aujourd’hui soutenir ces soldats, avec moins de commentaires, et plus de faits. Plus de photos sur les familles des victimes, plus d’images sur la famine dans l’Extrême, plus d’articles sur les enfants déscolarisés du fait de ce conflit, plus de reportages sur les enfants privés de soins, de vaccins et de nourriture. Voilà la vraie lutte contre Boko Haram !

La lutte contre Boko Haram, c’est changer la face du Cameroun. C’est bâtir de l’espoir en sortant les mentalités de l’obscurantisme et de la désespérance. C’est parler le langage de la paix, en rappelant que la paix, ce n’est pas seulement l’absence de guerre. C’est parler le langage de la raison, sachant qu’une guerre idéologique (celle de Boko Haram) ne se gagne pas par la fanfaronnade et l’exhibition d’un patriotisme clamé subitement parce qu’il est un phénomène de mode. Oui, soutenir les forces armées du Cameroun, c’est donner à ce Cameroun une image meilleure de lui-même à ses enfants, décideurs de demain. C’est emmener ces enfants à plus de citoyenneté. C’est dire aux journalistes que leur rôle n’est pas de militer, mais d’informer. Boko Haram est une gangrène, un cancer, mais a-t-on jamais soigné un cancer avec des slogans, des marches, des communiqués et des discours ? Divine comédie, que cela cesse !

Le business de Boko Haram me rappelle les années glorieuses du sida, lorsque celui-ci était la maladie à la une. Toutes les ONG contre le sida furent créées en un temps record. Tous les évènements devaient être marqués du sceau « Lutte contre le sida ». Aujourd’hui, le sida a cédé la place à Boko Haram, un autre bizness de la mort, juteux pour les opportunistes.

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Commentaires

lino Charly
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True talk mon frère!

akossiwa DOKPODJO
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très émue par ton billet. une prière pour toutes ses personnes qui souffrent réellement de cette guerre.