Cameroun : la République du décret

Article : Cameroun : la République du décret
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6 septembre 2015

Cameroun : la République du décret

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Chaque soir dans les journaux parlés de 17 h et de 20 h, la température monte d’un cran dans les ménages du Cameroun. La lecture des décisions, arrêtés et autres décrets détermine la marche de la République de Paul Biya. Dans ce pays, c’est le décret qui fabrique les gens, les stars, les talents, les leaders, les chefs, les directeurs, les patrons, etc. Depuis un moment, il n’est donc pas rare de vivre la montée d’adrénaline des uns et des autres qui sont allés se former pour enseigner, mais, ayant pris goût à la prise de décision et à la gestion des fonds publics, ces enseignants d’hier devenus directeurs de collège et proviseurs de lycée se satisfont de ces avantages juteux que sont les primes de technicité, les budgets de fonctionnements et autres crédits de lignes plus ou moins gratifiantes.

La logique des intérêts partisans

Ce sont ceux qui « fabriquent » ces proviseurs de lycées qui deviennent de vrais gourous, car leurs bureaux deviennent des laboratoires de tractations, de lobbying divers, émanant des logiques sectaires, politiques, et plus grave, de logiques tribales. Car, le Cameroun est une République d’intérêts cachés derrière des replis identitaires et ethniques dormants, qu’on croyait malheureusement révolus. Il n’est donc pas rare de voir des memoranda dits des gens du « Grand Nord », ou encore des élites bétis qui revendiquent tel ou tel positionnement politique. Alors depuis plus de trente ans, Paul Biya est obligé de faire des arbitrages politiques pour satisfaire les équilibres, comme si de nommer un originaire de tel département, c’est remplir le panier de la ménagère des ressortissants de tout le département. Surtout qu’à l’intérieur d’un département, il y’a d’autres logiques qui s’affrontent : si vous êtes dans le Mbam et Inoubou, les Bafia vous diront que le ministre Banen n’est pas des leurs, de même que les Yambassa, les Kon-Yambetta , les Sanaga, etc. exprimeront leurs exigences particulières. Les champions de ces positionnements sont les Bétis entre eux. Au sein d’un même groupe ethnique, les Eton en l’occurrence, lorsque les élites s’affrontent, elles vous diront que tel sénateur d’Okola ne doit pas parler au nom des Eton d’Obala ou au nom des Eton de Monatélé, ou pire, au nom des Manguissa de Sa’a. Le Cameroun est difficile à gérer, on le constate. Cette guerre perpétuelle des positionnements ethniques s’ajoute à l’équilibre « obligatoire » entre anglophones et francophones, héritage malheureusement d’une double tutelle de la France et de l’Angleterre sur le Cameroun. Ajoutez à cela, l’axe Nord-Sud qui constitue un équilibre entre ressortissants du Grand Nord et ceux dits du « Grand Sud » sous-entendu le Nord musulman et le Sud chrétien. Mais à y regarder de plus près, le fameux Grand Nord «musulman » était une illusion parce qu’après vérification, les trois régions du septentrion sont plus peuplées de chrétiens que de musulmans. Paul Biya l’ayant compris, a entrepris, dès son arrivée au pouvoir en 1982, de diviser le Grand Nord en trois régions distinctes. C’est ainsi qu’on a vite repéré que ce qui est désormais la région de l’Extrême-Nord était un territoire presque oublié dans le Cameroun du président Ahidjo. Alors Paul Biya s’est attaché les services d’Ayang Luc, éternel président du Conseil économique et social, Ahmadou Ali, vice-premier ministre actuel, et Cavaye Yeguié Dibril, éternel président de l’Assemblée nationale. Oui, l’Extrême-Nord est caressé dans le sens du poil par le régime Biya. On lui a attribué une université d’Etat, un aéroport international et autres infrastructures nées d’un décret de gratification de cette zone depuis lors très fidèle au régime de Yaoundé. Le Cameroun est un pays qui peut expliquer qu’avec plus de 200 ethnies, on se retrouve à distribuer plus de 60 postes ministériels, complétés par des nominations dans les entreprises publiques, les conseils d’administration, les universités et autres agences là où l’argent du contribuable se dépense allègrement au nom du décret.

La logique du décret qui régule la nation

Le décret est donc soumis à des logiques non scientifiques. La première d’entre elles est la filiation partisane (parti au pouvoir ou parti proche du pouvoir) ensuite, il y a les nombreux lobbies issus des filiations mystico-religieuses (églises conventionnelles, religions classiques, églises nouvelles, loges ésotériques, etc.) qui semblent tous se nourrir d’un encadrement des masses par le biais de la soupe des prêches et des homélies, qui apaisent les consciences d’une masse toujours plus endormie. Il y a enfin la logique de la filiation familiale. Certaines familles ont émergé du fait de leur proximité avec le colon d’avant ou le gouvernant actuel. Dans ces familles, lorsque l’époux est ancien ministre, l’épouse sera érigée en proviseure de lycée ou Directrice d’une administration centrale. Parfois, ce sont les fils et filles de ce ministre qui de par leur patronyme, deviennent les reflets d’une dynastie dans laquelle le mérite se situe au niveau de l’ADN. Conséquence, le Cameroun de Paul Biya est une République léthargique. Là où l’urgence est la meilleure forme de gouvernance, là où, la planification et l’anticipation n’entrent dans aucune logique administrative ou de politique publique, on attend tout du chef et on renvoie tout au chef. On attend qu’il décrète la fin de la récréation dans une cour qui est devenue trop bruyante au goût de la majorité des Camerounais. Le gouvernement brille par des scandales de gestion et d’insubordination des ministres vis-à-vis du premier ministre. Alors, les pontes du régime ayant compris comment le prince agit, inventent de-ci de-là, de pseudo remaniements pour décourager le prince d’effectuer un vrai remaniement attendu depuis au moins l’année 2011. Car au Cameroun, pour éviter le décret, il suffit d’évoquer l’éventualité de ce décret. Alors, le signataire du décret, se sentant prévisible, joue la carte discrétionnaire et se sert du pouvoir qu’il a de décider ou pas, de signer ou pas. Alors le cœur de la République bat au rythme d’une expression très courue : nominations.

Le Cameroun des grandes nominations

Les diplomates sortis de l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric) attendent leur nomination comme ambassadeur dans une représentation diplomatique. Les diplômés de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam)  attendent leur nomination à la préfecture ou à la sous-préfecture d’une localité. Que dire des gouverneurs des régions ? Que dire des super maires (délégués auprès des communautés urbaines) nommés et pas élus ? Que dire des directeurs et adjoints des entreprises ? Que dire des nominations des généraux et des colonels au sein de l’armée ? Que dire même des nominations qui n’ont rien à voir avec le pouvoir, à l’exemple de la nomination de l’archevêque métropolitain de la province ecclésiastique de Yaoundé ? Là bas aussi, les logiques tribales, familiales et filiales sont respectées et avant le décret du Vatican, il existe des tractations entre le Nonce et les autorités politiques. L’Eglise de Yaoundé a même brillé un moment par son intolérance, en boudant  les pasteurs ressortissants bassa et bamiléké qui au goût des populations locales, n’étaient pas des natifs de Yaoundé, donc pas susceptibles de bien gérer l’église locale. Oui, même dans la maison de Dieu, la nomination obéit à la loi de la discrimination ethnique. Récemment à la Cameroon Radio Télévision (CRTV), la nomination à titre intérimaire à la station régionale du centre (Région de Yaoundé) d’un ressortissant de Garoua (Région du Nord) a fait parler l’élite Béti. Lorsque le conseil d’administration a siégé, le ressortissant du Nord n’a pas été confirmé et c’est une originaire du centre qui a hérité du poste de chef de station. Est-ce à dire alors qu’au littoral il faudra absolument un Sawa ? Qu’à l’Ouest, il faut absolument un Bamiléké ? Si cette logique doit être respectée, que deviendront les minorités ethniques du Cameroun ? Pourtant, pour taire ces pseudo querelles, le président Biya lui-même avait démenti une rumeur selon laquelle un Bamiléké ne pourra jamais hériter du poste présidentiel au Cameroun. Il avait alors nommé un Bamiléké au secrétariat général de son parti, et un autre à la tête du Sénat, c’est-à-dire le successeur constitutionnel du chef de l’Etat en cas de vacance du pouvoir. Parlant de cette même vacance, le Cameroun a connu en 1982 une « passation » entre Biya et Ahidjo. Ce dernier ayant démissionné de ses fonctions, son successeur constitutionnel (Biya) a donc hérité du poste. Depuis lors, on parle de la logique du dauphin constitutionnel au Cameroun. En d’autres termes, le prochain président ne sera pas élu, il sera choisi (nommé) par son prédécesseur.

La logique Nord-Sud

Comme en Côte d’Ivoire, comme en République du Congo et dans d’autres pays de la Françafrique, le Cameroun a depuis l’époque coloniale établi de manière officieuse, le fameux axe Nord-Sud, qui veut qu’ Ahidjo, ait succédé à un premier ministre du Centre-Sud, et celui qui lui a succédé est venu également du Centre-Sud. Logiquement, le pouvoir de Paul Biya sera remis aux gens du Grand Nord. Mais qui sont les gens du Grand Nord ? Ce seront les Fulani ? Les Gbaya ? Les Massa ? Les Kotoko ? Les Moundang ? Les Guiziga ? Les Kapsiki ? Les Toupouri ? Les Mbororo ? Les Hauoussa ? Les Arabes-Choas ? Les Mousgoun ? Les Peul ? Qui donc ? Si ce sont les Toupouris, viendront-ils de Ngaoundéré, de Garoua ou de Maroua ? Si ce sont les Gbaya, viendront-ils du Nord ou de l’Adamaoua ? Si ce sont les Mbororo, viendront-ils du Nord-Ouest ? de l’Adamaoua ou de l’Ouest où ils se trouvent aussi ? Si ce sont les Fulani, viendront-ils de l’Est ou du Centre où ils sont installés depuis des années ? Ayons le courage de dire que la logique Nord-Sud n’est plus une vérité mathématique au Cameroun. Les ressortissants dits du Grand Nord sont simplement une invocation à la satisfaction des intérêts égoïstes quand il s’agit de se partager le pouvoir du gâteau national. A la CRTV, autant les Beti ont refusé la confirmation d’un nordiste à la tête de la station régionale du Centre, autant c’est un ressortissant du Centre qui sera désormais chef de station de la CRTV à Garoua au Nord. Que cela emmène les uns et les autres à penser un peu. Le Cameroun est un et indivisible, du moins dans le principe. Aujourd’hui encore dans le championnat de football local, c’est Coton Sport de Garoua qui est devenu Champion 2015 au Cameroun, pendant qu’au même moment, Tonnerre de Yaoundé et Canon de Yaoundé, deux équipes les plus titrées du Cameroun et anciennes championnes d’Afrique, sont reléguées en Ligue 2. La roue tourne, c’est ainsi la logique de l’histoire. Pendant longtemps, le Centre-Sud dominait en matière de football, désormais le vent souffle depuis le Nord. Au fait, j’oubliais : au Cameroun, les choses peuvent changer à tout moment. Ne soyons donc pas surpris qu’un décret vienne demain empêcher la relégation de Canon et de Tonnerre.

La logique tribale n’a donc plus sa raison d’être au Cameroun, et même les décrets devraient arrêter d’en tenir compte. Le mérite doit guider les générations du Cameroun de demain. Les anglophones nés à Yaoundé, les Bamilékés nés à Douala ou les Fulani nés à Bamenda, sont des Camerounais. Un point, un trait.

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Commentaires

kaptueflorian
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je suis d'accord pour ta conclusion

Albert KAMDEM
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belle photographie de notre triangle national et surtout, très belle conclusion !

Benjamin Yobouet
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Un point, un trait. Faire la promotion des valeurs et compétences.

Bel article cordialement!

traoré bakary
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Très bel article. j'étais un peu perdu dans tous ces nom d'ethnie et tout, mais à la fin, j'ai bien compris le message. je pense que c'est à peu près pareil un peu partout en Afrique et surtout dans les ex-colonies françaises, le mythe du nord musulman contre le sud chrétien est bien présent dans la société ivoirienne aussi. à cela s'ajoute le tribalisme et le favoritisme qui guident les politiques dans la gestion et les nominations. cela ne fait qu'accentuer ce climat suspicieux qui nous empêche de voir l’essentiel c'est à dire notre développement. merci pour ce très bel article; je repasserai certainement.