Les anges s’appellent Torpédo et Madeleine
C’est une belle histoire, comme un conte de fée dont la scène se déroule dans une nuit parisienne mais paisible, subtilement agitée par ces populations qui se cherchent et qui espèrent un brin d’espoir.
Gare du Nord, il est 21 heures. J’ai rendez-vous avec Madeleine Autet. Cette organisatrice d’événements culturels tient à ce que je sois à l’heure à son rendez-vous. Alors, le téléphone crépite depuis plusieurs minutes pour que la nuit soit exactement comme souhaitée.
Ça y est ! Je l’ai retrouvée. Il faut se dépêcher, car on va retrouver notre hôte du jour. Un autre puissant de l’industrie culturelle franco-camerounaise. Pendant qu’elle actionne son GPS pour retrouver l’adresse du rendez-vous, voilà un homme grand comme les Sao qui clame : « Aidez-moi s’il vous plait, je suis un malvoyant ». Madeleine s’approche de lui, et lui tient la main affectueusement. Je suis impressionné, non pas par cet élan de solidarité, mais davantage par ce qui va suivre.
- Que puis-je faire pour vous Monsieur ? Lui demande Madeleine
- Je voudrais retrouver le bus qui va chez moi ?
- Et c’est où chez vous ?
- Arcueil
Madeleine hésite. Il est vrai qu’arriver à Arcueil à partir de la Gare du Nord, c’est un peu le parcours du combattant à partir des lignes de bus. Alors, elle sort son portable.
- Ecoutez, monsieur, je vais vous appeler un taxi.
- C’est très gentil à vous. Répond le malvoyant.
- Sans problème.
- Mais dites-moi, ça coûte cher, un taxi.
- Ne vous en faites pas, je vais tout régler.
Dès cet instant, le malvoyant se confond en remerciements. Jamais, dit-il, il n’avait bénéficié de tant de générosité. Presque en larmes, il raconte son histoire.
- Je m’appelle Abou Sy. Je suis d’origine sénégalaise. Cela fait 30 ans que je vis en France. Mon grand père a été tirailleur pour la France. Vous savez, le Sénégal est une grande Nation. On a des agrégés de grammaire, des grands politiciens, de grands sportifs. Merci encore madame, vous venez d’aider un sénégalais.
Un peu surpris par ce commentaire décalé de notre malvoyant, c’est surtout l’attitude digne et silencieuse de Madeleine qui me fera réfléchir. C’est vrai qu’on a des idées arrêtées sur ces mbenguistes froids, sans cœur et un peu trop souvent prétentieux. Mais celle que je vois ce soir, possède un grand cœur. Elle aide un inconnu, lui appelle un taxi et lui tient la main jusqu’à l’arrivée de celui-ci.
Quelques minutes plus tard, nous sommes au 9ème arrondissement. Notre hôte du jour nous y attend. C’est Monsieur Torpédo en personne. Au Cameroun, tout le monde le connait désormais comme producteur des spectacles de X Maléya, Charlotte Dipanda, San Fan Thomas et d’autres. Beaucoup ignorent sans doute que Torpédo est connu au plan mondial, jusqu’en Asie. Mais ce sont son humour et son humeur qui feront de lui un être à part.
Entre me faire découvrir les recettes incroyables du « Braisenville », Bertrand Torpédo s’avère être un être attachant, intelligent, et…humble. Il est impossible pour moi de m’imaginer combien les gens du Cameroun, ne peuvent pas tirer expérience d’une si belle grandeur d’âme. On est donc à table. Bertrand me fait déguster un menu atypique : Du thon cru au citron (qui avait du mal à passer, je l’avoue), mais également une assiette de légumes grillés, un Ceviche de Bonite, et ce bœuf saignant à déguster avec des patates impressionnantes.
Que dire de ce vin qui viendra tout arroser, dans une ambiance incroyable. Madeleine rit aux éclats. Toutes les blagues de Bertrand facilitent la digestion. Un coup d’œil sur son téléphone et la voilà qui s’exclame : « Ca y est ! Il est arrivé ». Mais qui donc est arrivé ? Madeleine me répond que le sénégalais malvoyant Abou Sy est arrivé à bon port. Son application lui permet de le savoir. Cette belle nouvelle la replongera dans des rires interminables. Pourtant, on parlait affaire dans cette soirée très gastronomique.
Au-delà pourtant, j’ai rencontré deux individus qui incarnent le Cameroun qui gagne. J’ai rencontré deux êtres qui ont du cœur et qui sont loin des polémiques parisiennes vaseuses et vaniteuses. J’ai rencontré deux passionnés de culture, qui aiment profondément le Cameroun bien que vivant en France. J’ai rencontré Madeleine et Torpédo dans une nuit parisienne dont l’éclat était forcément le leur. J’ai surtout écouté deux grandes âmes, deux êtres généreux qui peuvent aider un inconnu ou ouvrir leur cœur, simplement parce qu’il est grand. Il est 1h du matin, il faut repartir. Le vin m’a un peu secoué, c’était le plus cher du restaurant, mais Torpédo voulait à tout prix me faire plaisir. Pendant ce temps, Madeleine manipule encore son téléphone.
- Attends DANIA, je t’appelle un taxi.
Décidément, Madeleine !
A peine foulé ma chambre d’hôtel, elle m’écrit : « On vient de me signaler que tu es bien arrivé. Je peux dormir tranquille ».
Ai-je rencontré des êtres humains ou des anges ce soir ?
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