L’histoire du pain-saucisson

Article : L’histoire du pain-saucisson
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3 septembre 2018

L’histoire du pain-saucisson

Une affaire sordide de saucisson. Un vrai coup tordu. 

C’est jour de rentrée scolaire au Cameroun. Je me souviens que lorsque j’étais élève au CP, à l’école publique bilingue du GMI à Bamenda, j’avais un camarade, devenu ami et frère, nommé Ekotto Ekotto Romain Philippe. Un gars brillant. Nous étions concurrents, parce qu’il était premier et j’étais deuxième. Et quand j’étais premier, il était deuxième. Au CE1, Romain et moi avons été ex æquo au moins trois fois. Je suis EB et lui EK. Je suis donc premier par ordre alphabétique. Romain ne le digère pas et il sera premier jusqu’à la fin de notre cycle scolaire. Frustré, je me suis alors demandé : « Comment fait-il pour être tout le temps premier » ? Je compris dès lors que la réponse se trouvait dans son goûter. Oui, Romain était un enfant « bobo », une voiture le déposait chaque matin à l’école tandis que nous venions à pied. Nous écumions les quartiers de Bamenda à pied, alors qu’il profitait d’une vie dorée et climatisée à « Up Station ». 

Son secret ? Le pain saucisson. Oui, il avait un sandwich salé, avec du beurre et du saucisson. Rien que ça ! J’ai mordu ce pain lors d’une récréation, et, le temps d’une digestion rapide et éphémère, je me suis mis à maudire mes parents pour le côté rustre de mes pauses, sans pain-saucisson. Je trouvais cela bizarre de me contenter de beignets, de galettes, descroquettes et autres coquetteries insipides qui agressaient mon auguste palais. Je voulais désormais le pain saucisson de Romain. C’était une question de vie ou de mort. Alors je suis allé agresser ma mère qui était morte de rire : « tu veux te complexer pour une histoire de saucisson ? Va poser ce problème à ta grand-mère ! ». Ah, oui, ma grand-mère ! J’avais oublié qu’elle travaillait au port de Douala. Elle recevait donc des produits de luxe tous les mois, notamment l’illustre charcuterie. Mais j’avais aussi oublié qu’elle était venue un soir avec un saucisson pour moi. C’était tard le soir, le saucisson avait donc fini dans le congélateur. Mes oncles n’avaieant pas apprécié qu’un enfant de mon âge reçoive un tel présent, du coup, dès le lendemain matin, plus de saucisson dans le congélateur. Mes tontons n’avaient visiblement pas de pitié pour moi. J’étais en vacances à Douala et j’allais retourner bredouille à Bamenda. Je n’avais par conséquent pas la possibilité de dire à Romain : « Tiens, j’ai mangé du saucisson chez ma grand-mère ». Une défaite de plus. Déjà je le trouvais mignon et brillant… et il fallait en plus que je sois humilié par son saucisson ? J’entrepris alors un plan : un jour je m’offrirai mon propre saucisson. Ce fut chose faite des années plus tard, à l’occasion de mon premier salaire.

Je me souviens que lorsque j’étais étudiant, mon camarade Priso Dibango nous avait déclaré qu’il était adventiste et que sa religion lui interdisait de consommer de la viande de porc. Je fus donc très surpris de le voir consommer allègrement du saucisson de porc lors des rencontres sportives après les matchs de Football. « Mais gars, tu es conscient que tu es en train de bouffer du porc ? » lui avais-je demandé. Je me souviens encore de sa réponse : « Gars, laisse-moi ! Je sais. Je reste adventiste, mais je mange du saucisson ». Fin du débat.

Priso n’est pas le seul à comprendre la valeur du saucisson. Mon neveu, qui était en maternelle, avait débarqué un soir et avait déclaré à mon frère Philbert : « Papa, la maîtresse m’a dit de ne plus venir avec le pain-chocolat en classe. Elle préfère quand je viens avec du pain-saucisson » ! Oui, même les maîtresses d’école attendent les goûters de nos mômes de pieds fermes. Alors soyez généreux ! Faites du pain au saucisson pour les enfants. Faites-le !

 

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