La Crimée, vers une troisième Guerre Mondiale ?

Article : La Crimée, vers une troisième Guerre Mondiale ?
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2 mars 2014

La Crimée, vers une troisième Guerre Mondiale ?

Voilà le genre de questionnement qui semble amusant n’est-ce pas ? Oh que non ! Cela est loin d’être drôle. Ce qui se passe en Ukraine, et plus largement en Russie de nos jours, est un cours d’histoire, et une scène géopolitique mondiale qui méritent d’être signalés. Mais qu’est-ce que c’est la Crimée au juste ? Il faut le savoir, l’enjeu des relations internationales s’y joue en ce moment. C’est la raison de mon Café noir à la Russie.

Un peu d’histoire d’abord : Crimée, une région internationale.

Déjà au 19ème siècle, les peuples russes, britanniques, français, turcs, et italiens se disputent cette presqu’île située aux abords de la mer noire. La Crimée est réputée pour ses vignobles, ses lieux de tourisme, et la station balnéaire de Yalta où les accords du Nouvel Ordre Mondial ont été signés en 1945 entre Staline, Roosevelt et Churchill. Oui, c’est à Yalta que l’ONU actuelle a été pensée. Il y’a donc lieu d’y méditer un peu. Surtout que la Crimée, qui a pourtant un statut de république autonome, a pour capital Sébastopol, grand port de guerre sur la mer Noire au sud-ouest de la péninsule, ne dépend pas de la « république autonome de Crimée » et possède un statut spécial au sein de l’Ukraine. Cette région internationale comporte  58,32 % de russes, 24,32 % d’Ukrainiens,  12,1 %  de tatars, 1,44 % de biélorusses,   0,54 % d’arméniens, et 2% de juifs, grecs et autres. C’est donc dans ce contexte cosmopolite que se jouent tous les actes de la géopolitique russo-ukrainienne actuelle.

Et si on parlait un peu de la Russie Plurielle.

Drapeau Russe
Drapeau Russe

Comme on le sait peut-être, Lénine fonde en 1918, le Conseil des Commissaires du peuple en Russie, suivi un an plus tard de la création de la République Fédérale de Russie. Mais en 1920, un évènement se produit où ? En Crimée ! L’armée blanche évacue la Crimée et l’armée rouge prend le pouvoir. Les républiques socialistes naitront dès 1922 et en 1936, sont déjà au nombre de 11 dans l’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques) : Russie, Ukraine, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan, Arménie, Azerbaïdjan, et Géorgie. Tout ce grand ensemble s’effondra donc sous Gorbatchev avec la chute du bloc de l’Est en 1989. Sont naïfs tous ceux qui ont cru à la fin de la guerre froide en ce moment là. L’Urss était tombée, la CEI (Communauté des Etats Indépendants) qui lui succèdera en 1991 ne fera pas long feu. Mais c’était sans compter avec la Fédération de Russie elle-même. Même sans ses tentacules de 1922, le géant Russe est là. Il a survécu à la chute du mur de Berlin, au vent des mouvements indépendantistes, à l’enterrement du Communisme et l’hégémonie américaine. La Russie a intégré le G7, est devenue membre permanent du Conseil de Sécurité, est le plus vaste Etat du monde (il s’étend sur 10.000km d’Ouest en Est), c’est-à-dire 30 fois la France. La Russie est deuxième puissance militaire mondiale, c’est aussi le 7ème plus gros P.I.B (Produit Intérieur Brut). Que dire de sa position de 2ème producteur mondial de pétrole ? Que dire de sa langue qui est l’une des 6 langues officielles des Nations Unies ? Langue estimée à 145 millions comme langue maternelle, 135 millions comme langue seconde, soit un total de 280 millions de locuteurs dans 21 pays ou régions du monde, dont la Crimée. Cette Russie plurielle est présente sur la scène internationale. Elle a le droit de véto au Conseil de Sécurité de l’ONU, et peut empêcher ou influencer une décision sur la Syrie ou tout autre foyer de conflit.

Et maintenant, la Russie des Vladimir.

La Russie actuelle veut revenir à ce qu’elle fut : Un Grand Empire. Il faut tout de même remarquer une coïncidence remarquable, celle de la prééminence du prénom Vladimir. C’est le Prince Oleg en effet, qui fonde l’Etat de Kiev en 882, lequel Etat sera baptisé Russie en 989 par un certain Vladimir 1er. Pourtant, un autre monarque Russe portera bien le même nom (Vladimir 1er) de 1924 en 1992, le dernier monarque officiel contemporain de la Russie avant la crise de la dynastie. Mais lorsqu’en 2000, apparait Vladimir Poutine au pouvoir, il restaure d’une main de fer, l’administration soviétique du pays, avec la force des services de renseignement (dont il est issu), et un grand contrôle des fédérations russes qui avaient des velléités d’indépendance depuis 1991. Celui qu’on surnomme volontiers « le nouveau tsar » (Voir ici document de France 2) est un homme terne, charismatique et nostalgique des années de guerre froide. Comme les anciens tsars, il est très proche du pouvoir religieux orthodoxe. Il a mis fin à une libéralisation politique introduite par Gorbatchev avec la perestroïka et la glasnost et qui s’était poursuivie sous Boris Eltsine. Le nouveau Tsar, ancien agent du KGB, refuse officiellement l’homosexualité comme à l’époque du KGB, où n’envoyait en poste extérieur que des hommes mariés, condition destinée à écarter les homosexuels. Vladimir est un prénom de monarque peut-on donc conclure.

Et demain, le retour d’une Crimée Russe ?

Le nouveau Tsar est un homme qui a su mater les rébellions autonomistes du Caucase : Les 6 républiques dites « autonomes » de Ciscaucasie (Caucase Russe)  sont restées au sein de la Fédération de Russie. Un mouvement d’indépendance se forme en Tchétchénie, alors que la Russie refuse d’accepter toute sécession, de même qu’au Daguestan. Le nouveau Tsar désignera donc Sotchi comme ville hôte des Jeux Olympiques d’hiver en 2014.  A ce propos, Alexandre Krylov, président de l’Association scientifique des spécialistes du Caucase, déclare : « L’organisation des JO à Sotchi revêt une importance symbolique pour le Caucase qui a été depuis longtemps arène de guerres et de conflits. Ainsi, la Russie propose aux peuples du Caucase de se mettre en voie de la paix et de la coopération constructive, la seule voie possible vers une croissance juste et durable de la région. En même temps il faut s’abstenir de toute spéculation sur le sujet des tragédies du passé, vouée à alimenter la haine à des seules fins politiques ».

Plus loin, il ajoutera que : « C’est pourquoi la politique russe au Caucase vise avant tout à neutraliser les menaces, réelles et potentielles, qui pèsent sur la stabilité économique et sociale du pays ».

Voilà donc comment une ville du Caucase deviendra le centre névralgique du sport, mais davantage d’une politique stratégique bien pensée par le nouveau Tsar. C’était sans compter sur ce qui allait se passer quelques jours après ces jeux, en Ukraine. Le président Viktor Ianoukovitch est évincé de la présidence de l’Ukraine. Se met alors une nouvelle coalition politique pro-occidentale à Kiev, ce qui n’est pas du goût de la Russie qui préfère passer par un axe stratégique : La Crimée !

Carte de la Crimée. République située entre la Russie et l'Ukraine, en plaine Mer Noire.
Carte de la Crimée. République située entre la Russie et l’Ukraine, en plaine Mer Noire.

L’Ukraine annoncera que les hommes armés qui ont pris d’assaut le siège du gouvernement de Crimée sont des militaires russes de la flotte de la mer Noire, basée à Sébastopol. Une information confirmée le 1Er Mars par les autorités russes elles-mêmes :

« En raison de la situation extraordinaire en Ukraine et de la menace pesant sur la vie des citoyens russes, de nos compatriotes, des forces armées russes déployées en Ukraine. M. Poutine a demandé d’autoriser « le recours sur le territoire de l’Ukraine aux forces armées russes jusqu’à la normalisation de la situation politique dans ce pays ».

Paysage de Crimée
Paysage de Crimée

Ce communiqué du Kremlin a évidemment suscité de vives inquiétudes à Kiev, Paris, Londres, Washington et Berlin. La France a exprimé sa « vive préoccupation » devant l’accélération des événements en Crimée et a insisté sur la nécessité de respecter l’intégrité territoriale de l’Ukraine, par les voix de son chef du gouvernement et de son ministre des Affaires étrangères. Même son de cloche chez la chancelière allemande et chez les Polonais, qui invoquent le respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Evidemment Moscou se défend en mettant en avant la sécurité de ses concitoyens en Crimée, et la protection de ses intérêts dans ce territoire et autour de la mer noire. C’est clair, la Crimée est le nouveau champ de démonstration de la force du nouveau tsar. Simple chantage ou volonté réelle d’agir ? Toujours est-il que le Conseil de Sécurité de l’Onu est saisi. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, s’est dit « profondément inquiet ». Il appelle au « calme et au dialogue », comme l’ensemble des dirigeants européens. Et si le nouveau tsar allait jusqu’au bout de sa menace ? Washington et ses alliés européens resteront-ils spectateurs ? Pourra t-on éviter une guerre (mondiale) en Crimée ? Yalta, ville du nouvel ordre mondial en 1945, sera-t-elle la ville du désordre mondial ?

 

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